Presse

Au coeur de l'art
Numéro 16 : Septembre / Octobre 2015
 
Entretien avec Bénédicte AZAN (1/4/2013) et Pierre Emmanuel, critique d’Art. 
 
Pierre Manuel : Tu vas prochainement (mai2013) exposer à l’ARPAC, à Montpellier où tu auras l’occasion de montrer un nombre important de peintures récentes. Sans minimiser les expositions antérieures, ce sera un pas significatif dans ton travail de peintre – à la fois à tes propres yeux et à ceux du public que tu espères toucher. Peux-tu résumer le parcours qui conduit aux affirmations qui sous-tendent ta peinture ? 
 
Bénédicte Azan :  Vers 20 ans, j’ai rencontré une artiste allemande - aquarelliste – qui m’a initié à cette technique. Pendant une dizaine d’années, j’ai donc travaillé l’aquarelle tout en fréquentant de nombreux ateliers – à Toulouse, Paris, Dijon etc. Ce travail  se faisait sur le motif ; et tout particulièrement dans les paysages en Provence que j’aimais et trouvais magnifiques. Tout y était source d’inspiration. Aujourd’hui les paysages du Languedoc sont différents mais le plaisir que j’ai de les regarder et de les peindre est resté le même. En même temps, Je cherchais quelque chose qui ait une autre dimension.  C'est avec ma peinture à l'huile que j'ai trouvé ma nouvelle expression . L'atelier de  Jean de Gaspary  à la Celle Saint-Cloud m’a révélé (à) la peinture – dans toute sa complexité et profondeur. Je me  suis mise à travailler intensément, en gardant comme prétexte à ma peinture, le paysage.   
 
P.M.: A Dijon, au début des années 2000, tu suis aussi des cours avec Philippe Pradalié que le Musée Fabre a récemment exposé  
 
B.A.: Oui, cela a été amusant de le retrouver plus tard ici. Comme enseignant, il m’a surtout accompagné là où je voulais aller sans chercher à m’imposer des motifs ou un style. 
 
P.M.: Comment définirais-tu cette première période ?    
 
B.A.: Je cherchais à m’approcher le plus possible de ce que je peignais. Et cela par le biais d’une forme et d’une volonté de « ressemblance ». Et puis, petit à petit, la phrase de l’aquarelliste allemande me disant que la suggestion importait plus que la représentation s’est imposée. Un trait qui suggère ce n’est pas seulement une autre façon de peindre c’est surtout le départ d’un chemin personnel, une affirmation irréductible à toute autre. 
 
P.M.: Quels sont à ce moment là les peintres que tu regardes ?   
 
B.A.: Comme je le disais, les aquarelles étaient traversées du souci de ressemblance avec des paysages ou des éléments de paysage que j’admirais. Avec la peinture à l’huile, la tentation était plutôt d’imiter d’autres peintres. Comme si pour aller plus loin, il fallait commencer par dévorer puis digérer ses « maîtres ». C’était aussi comme un défi : étais-je capable de le faire ? Je me suis ainsi essayé au collage, à l’inclusion d’objets sur la toile. Mais sans y trouver mon propre terrain.  
 
P.M.: Aujourd’hui quels seraient ces peintres avec lesquels tu souhaiterais que dialogue ta peinture ?   
 
B.A.: C’est bien sûr prétentieux de répondre à une telle question. Et difficile parce qu’il y en a beaucoup. Disons de manière un peu ouverte des artistes comme Ci Twombly, Per Kirkeby, Thomas Müller ou l’artiste japonais Tshuta Kimura. J’aime chez eux la manière dont ils entremêlent la liberté de la ligne et l’aléatoire de la tache ; et pour Kimura comment à  partir d’une « image » venue de la contemplation du paysage, il la déporte ailleurs – sur le seul terrain de la peinture c’est-à-dire des formes colorées. 
 
P.M.: A l’ARPAC, tu montres des peintures (et quelques dessins) récentes : de 2011 à 2013. Pourquoi ce choix ? Correspond-il à une impression de rupture au regard du travail antérieur ?     
 
B.A.: Le mot de rupture est un peu fort même si l’évolution que je perçois dans mes toiles les ont conduites effectivement ailleurs. Pour résumer, il s’agissait auparavant pour moi de rassembler sur la toile un maximum de sensations, de souvenirs, d’images : une accumulation d’ « informations », si l’on veut, qui se traduisait aussi par une peinture trop « riche », presque « encombrée » de tout ce que j’avais à dire d’un seul coup. J’ai retenu cette phrase de Picasso : « il y a parfois dans deux ou trois lignes plus de poésie que dans un long poème ». Et donc, j’ai commencé à enlever, à alléger. Peut-être aussi, à aller vers ce qui serait le plus essentiel et non plus anecdotique. Mais cela ne vient pas d’une décision mais du travail lui-même. Le travail ce n’est pas le temps passé devant sa toile c’est mesurer la distance entre une intention et un but. Il nous en fait voir l’écart et aide partiellement à le combler. Dans le processus de travail antérieur, l’accumulation (c’est-à-dire tout ce que le travail apportait) m’éloignait de mon but. Et me donnait parfois l’impression de me perdre. Il m’a fallu alors faire l’inverse – que le travail soit une manière de simplifier.   
 
P.M.: Ce qui implique me semble t-il une façon un peu différente d’être devant sa toile : de faire « danser le geste » plutôt que de dire ou de montrer. Dans les peintures antérieures, il y a une saturation qui résulte d’intentions plastiques multiples mais aussi de sensations qui s’imposent à toi, dans leur diversité, et organisent leur propre paysage. Simplifier ce serait comme reprendre la main sur ce qui se passe en nous, sur les sensations et leur puissance d’envahissement et donc permettre cette liberté du mouvement, du geste que tu cherches.       
 
 B.A.: Le geste est effectivement une impulsion mais il va du côté de l’éphémère, de la légèreté. Donc de l’esquisse ou de la tache. Quelque chose que je ressens comme très personnel et authentique. Au fond, à travers le geste et plus précisément le corps qui me lie à ce que je fais, je cherche ce que Kandinsky appelait une « nécessité intérieure ». Le corps est une énergie, un mouvement - que je ressens par exemple quand je peins au sol - mais c’est par cette expérience de la nécessité que je l’éprouve. Et paradoxalement, cette nécessité est aussi pour moi le moment où l’impression de liberté conquise et vécue est la plus intense.    
 
P.M.: Mais en même temps, il est difficile de parler de peinture gestuelle.    
 
B.A.: C’est vrai dans la mesure où je ne me lance pas en « aveugle » sur la toile : il y a de nombreux croquis préparatoires, de tailles différentes. Et donc j’organise cet espace où le geste ensuite se déploiera, me donnant cette sensation de liberté que je ne trouve nulle part ailleurs.  
 
P.M.: Quelle place donnes-tu à ces travaux préparatoires ? Et comment préfigurent-ils la peinture à venir ?   
 
B.A.: La difficulté est de devoir « composer » sans que cette composition soit perceptible. Il faut qu’elle s’efface dans ce qu’elle fait apparaître. C’est cela qui me permet cette légèreté du geste que j’évoquais. Comment conserver dans une toile achevée le moment de l’esquisse, cette émotion particulière de la chose perçue dans son aspect le plus fragile et éphémère, celui de l’étonnement? Toute la difficulté est bien là. Mais je peins pour ce risque sans cesse renouvelé : pouvoir (m’) étonner à la fin tout autant qu’au commencement. 
   
P.M.: Plus précisément comment s’articulent ce moment de construction et ce désir d’un geste délié ?    
 
B.A.: Avant, je me laissais envahir par ce que le motif avait suscité comme émotions et sans doute je cherchais à les retrouver dans leur épaisseur. Aujourd’hui, les travaux que j’appelle préparatoires sont comme une manière de les mettre à distance en me contraignant à aller vers une organisation/composition de la toile. Ce qui a donné au blanc - ou plutôt aux différents blancs - une importance nouvelle qui n’est pas seulement de l’ordre d’une économie de moyens mais surtout de la mise en relation dynamique des autres éléments de la toile et en particulier des couleurs. Ce blanc est aussi comme une couleur mais qui activerait les autres couleurs. Peut-être est-il comme un retour inconscient de l’aquarelle ? Mais autant dans cette dernière, il semblait participer de ses limites autant dans les tableaux c’est comme s’il ouvrait sur quelque chose d’infini. Il y a dans les couleurs quelque chose qui tend au plaisir, à  l’exubérance mais qui s’évanouit facilement. Plus je peins et plus je cherche quelque chose qui soit une affirmation. Cela passe par plus de sobriété - j’essaye de ne pas utiliser plus de 3 couleurs -, par le jeu des gris et des noirs ; elle « aiguise » ma relation à la peinture.         
 
P.M.: Si on remonte, ici, de la toile aux esquisses, on peut aussi aller des esquisses aux photos qui les ont suscitées. Quelle place tient alors l’usage de la photographie et tout particulièrement de celle des étangs qui entourent ton atelier ?     
 
B.A.: Je ne crois pas qu’il soit possible de partir de rien ou même de la toile blanche. Il me faut une impulsion première qui me sera donnée par tel ou tel aspect du paysage, à un moment donné. La photo en garde la trace comme le ferait un croquis pris « sur le vif ». Elle n’est pas plus que cela. Elle me donne ensuite la possibilité de revenir dans ce même paysage, de voir des détails qui m’avaient échappé : une chose, une ligne, une symétrie. Et là commencent mes croquis qui vont prendre appui sur ces détails pour en faire une réalité nouvelle, dans un espace très différent. C’est là que le tableau avec son format et sa surface reprend de l’importance : il faut que ces éléments « extraits » par le dessin de la photo trouvent leur espace propre. Cela se fera beaucoup par les couleurs – des couleurs qui ne s’originent plus dans les choses mais appartiennent au travail du peintre et qui doivent « composer » avec le vide, comme la ligne doit le faire avec la tache. S’instaure ainsi un dialogue entre la toile et moi – entre ce qu’elle est dans sa matérialité et mes « intentions ».    
 
P.M.: Un dialogue difficile ?    
 
B.A : Oui : il s’agit de se défaire de l’envie de jouer avec des effets pour prendre la mesure de ce dont je me sens capable de ressentir et de faire, avec un minimum d’outils. Aujourd’hui nous disposons par les nouvelles techniques, d’un pouvoir de faire. Mais qui ne nous engage pas vraiment et ne nous révèle pas grand-chose de nous. La peinture c’est la « main » - c'est-à-dire le risque et la singularité - l’authenticité .  
 
Entretien entre Bénédicte Azan et Pierre Manuel, avril 2013.